« La stratégie de l’émotion » d’Anne-Cécile ROBERT (Ed. Lux Québec)

L’information devient une invasion de faits divers dont la présentation implique une recherche de l’émotion par le récit et par l’image.

Les évènements tragiques et spectaculaires sont les plus prisés par le journaliste s’efforçant d’en évoquer et montrer l’aspect attendrissant sinon odieux.
L’association Acrimed relève une augmentation de 73% en 10 ans des faits divers dans les médias français télévisés.
La photo de l’accident, du meurtre, le témoignage-« micro-trottoir » accroissent la compassion du « spectateur » et conduit à une vision biaisée de la réalité sous une apparente neutralité. L’expression de la douleur lors d’une « marche blanche » constitue un exutoire, manifestation du narcissisme en s’identifiant à des personnes choisies.
Y a-t-il de telles « processions » pour conjurer le sort de milliers de migrants morts durant leurs périples ?
C’est une transformation du « Rien de ce qui est humain de m’est étranger » en « Rien de ce qui m’est étranger n’est humain ».
Cette prédominance des affects est enseignée dans les écoles de journalisme fondée sur la recherche de réponse à : qui ?, quoi ?, où ? Ce sont des orientions qui réduisent forte- ment l’information alors qu’il importe d’en analyser le « pourquoi ? » et le « comment ? ».
L’originalité de cette analyse inattendue concerne nombre des effets de la "stratégie" : médiatisation et personnalisation où l’image et l’émotion comptent beaucoup plus que la réflexion et la raison.
Le « reporter du direct » a obligation de privilégier images et témoignages de violences lors d’une manifestation et néglige ou évoque brièvement le rassemblement populaire où « il ne se passe rien ».
Le terme "media" devient trop général puisqu’il faut en exclure -à minima- la presse et le journalisme professionnels et vraiment indépendants qui refusent l’instantanéité et maintiennent l’information vérifiée et analysée hors du piège mercantile de la pub.
Ces aspects deviennent alors la règle permanente sauf si l’on éteint écrans et radios...
Dans le domaine judiciaire, le tribunal devient psychologique : pour Eric Dupont-Moretti la justice est transfigurée par les victimes.
Le contrôle social par l’émotion apparaît lors d’évènements délétères  : narcissisme compassionnel des réseaux sociaux, discours politiques réduits à des prêches, séquences organisées par les « communicants » d’un chef d Etat en favorisant sa côte de popularité : fête « de la musique » à l’Elysée, finale de la coupe du monde de football à Moscou, familiarités avec des jeunes antillais à Saint Martin après un séisme, rencontre avec l’adolescente suédoise« militante pour le climat », « face à face » télévisé avec une jeune immigrée kosovar scolarisée malgré l’expulsion de sa famille...
Anne-Cécile Robert présente une réflexion salutaire sur l’abrutissante extension du domaine de la larme et un plaidoyer civique pour un retour à la raison.
Dans l’avant-propos du livre, Eric Dupont-Moretti apporte la conclusion à ce livre qualifié de « dangereux et subversif » et « qu’il faut lire et relire sans modération » car « il rappelle que la liberté n’est pas une facilité et nous met en garde contre l’émotion qui génère, dans l’excès, une dictature qui nous tient tous dans un formatage panurgique * ».
* moutons de Panurge