"Alicaments", dérives de mutuelles et réglementation

La décision publicitaire annoncé par une grande mutuelle santé de rembourser des "alicaments" d’une grande marque alimentaire a provoqué émotions et nombre de commentaires (par exemple, Geneviève Azam, Politis 12/05).

Gauche Républicaine - DOSSIERS
Economie Sociale

« Alicaments », dérives de mutuelles et réglementation
Pierre Mascomère 5/03/06

La décision publicitaire annoncée par une grande mutuelle santé de rembourser des « alicaments » d’une grande marque alimentaire a provoqué émotions et nombre de commentaires (par exemple, Geneviève Azam, Politis 12/05).
Au-delà de la critique, justifiée, de cette dérive, il est souvent invoqué pour expliquer les diverses dérives de mutuelles et groupes mutualistes, l’incorporation des mutuelles, code de la mutualité, dans le champ des directives européennes « assurances ».
Je suis sur ce point en désaccord.

Bien sûr, je ne suis pas assez naïf pour croire que toute technique est neutre, que la réglementation élaborée est neutre. La plupart du temps, effectivement, la réglementation européenne avantage les organismes capitalistiques par rapport aux autres, elle corrompt la nécessaire réglementation technique par une vue focalisée financière. On pourrait faire un long article, même une série d’articles, sur ces points. (Dans l’actualité, le cas des normes comptables IFRS est un cas d’école - voir livre récent de Michel Capron....)

Mais je persiste, ce n’est pas cette réglementation qui pousse les mutuelles -je dirai les organismes de l’économie sociale- à des dérives. Cette réglementation est le prétexte qu’utilisent ces organismes pour se glisser hors de l’économie sociale. Et c’est un choix de la technostructure et des politiques de ces organismes, donc in fine, un choix des politiques administrateurs de ces organismes.

D’abord, des mutuelles n’ont pas attendu les directives ou une réglementation contraignante pour passer dans le domaine lucratif.
Autre exemple, c’est bien la « Mutualité » qui a demandé que soit autorisé le recours au courtage pour les Mutuelles code de la Mutualité tant pour les opérations collectives il y a quelques années que pour les recrutements d’adhérents individuels, il y a quelques semaines.
Celles des mutuelles qui utiliseront ce système de commercialisation seront des organismes au moins partiellement à but lucratif (il ne faudra pas alors s’étonner de la conséquence qui s’en suivra justement en termes d’imposition !).
Or les directives n’ont en rien obligé à cela, d’aucune manière, et les mutuelles ne sont en rien obligées d’utiliser ce système. Mais force est de constater que celles qui viennent de déclarer qu’elles vont utiliser le courtage, disent que désormais le code « l’autorise » ou « le prévoit » !
Il s’agit bien là d’un choix des politiques.

Plusieurs raisons par contre se détachent quand on étudie ces dérives.

L’une est la volonté de puissance et de gloire du « Patron » qui a entraîné l’organisme vers des rivages commerciaux éloignés du champ de l’économie sociale. Mais là aussi, c’est bien les politiques qui l’ont laissé faire, que les raisons de ce laisser faire soient avouables ou non.

Une autre est plus pernicieuse. Les dirigeants de ces organismes sont pour une large part plongés dans un ou des milieux très majoritairement acquis à la cause « capitaliste », que dis-je, qui ne connaissent que le capitalisme. A plus de 90% les commissaires aux comptes, les conseils financiers, les conseils en stratégie, les actuaires conseils, etc. ne connaissent et ne respectent que le capitalisme. Pour eux, depuis la chute du mur de Berlin il n’existe plus d’alternative et les organismes d’économie sociale qui résistent encore sont des reliques du passé qu’il faut faire évoluer.
Les dirigeants de ces organismes qui résistent doivent donc gérer en faisant front à la majorité de ces conseillers, en plus des quolibets des concurrents et aussi des embûches des législateurs et « réglementeurs ». Quelquefois, trop souvent, ils cèdent et comme explications à leurs politiques invoquent à leur tour la nécessité de satisfaire à la réglementation.

Une autre raison, qui découle en fait de la précédente, est qu’après une longue période de démarrage puis d’existence, les fondateurs, les dirigeants, les politiques, les salariés qui ont participé à la création et au fonctionnement de l’organisme partent en retraite. Parmi les remplaçants, compte tenu de l’univers de la formation qui est à 90% dans la pensée capitalistique, il reste une minorité de professionnels tenants, défenseurs, et promoteurs de l’économie sociale, il y a aussi quelques professionnels d’esprit capitalistique mais qui font honnêtement leur métier, en loyauté avec les concepts de l’économie sociale.
Beaucoup par contre ne pensent, ne vivent, ne raisonnent, que dans l’esprit capitalistique et agissent malheureusement en conséquence. Certains d’entre eux pensent même, prenant la place des politiques qu’en fait ils récusent, que leur devoir est de faire évoluer ces organismes vers la, « normalité », et que c’est rendre service à ces organismes que de le faire.

Là aussi les politiques qui ont le choix de l’orientation, le choix des dirigeants, mais qui sont manipulés par ces conseillers très « orientés » laissent à ces dirigeants les véritables rennes, avec les inéluctables conséquences.

Une autre raison encore de la dérive est en réalité une mauvaise gestion technique souvent occultée par un rejet verbal des réglementations techniques « qui ne devraient pas s’appliquer à ces organismes ».
Mais si.
Une mutuelle doit constituer et détenir ses provisions techniques, toutes ses provisions techniques, doit avoir une marche technique irréprochable car elle doit le respect à ses sociétaires au moins autant sinon plus qu’un organisme capitalistique à ses clients.
Et c’est une marche technique déplorable qui bien souvent conduit au « rachat » sous une forme ou sous une autre de la mutuelle par une organisme capitalistique ou similaire et donc à un affaiblissement du secteur de l’économie sociale.
Et en rien une bonne marche technique ne compromet l’avenir économie sociale de la mutuelle, même si, nous en sommes bien d’accord la technique n’est jamais tout à fait neutre.

Justement, le type de discours attribuant la cause unique, ou principale, de la dérive d’organisme d’économie sociale à la réglementation technique, au-delà du fait que mon expérience ne me conduit absolument pas à cette constatation, offre par contre une excuse en or à ceux qui sont tentés de dériver.

Il vaut mieux à mon sens peser sur l’environnement médiatique, peser et se battre contre des législations, règles ou propos qui tendent à combattre l’économie sociale.

Il en est ainsi de l’abandon par la Commission européenne de la mise en œuvre d’un statut de « Mutuelle européenne ». Cet abandon n’est pas innocent, il induit un biais anti-concurrentiel entre les divers types d’organismes, en défaveur de l’économie sociale. A ce sujet, sait on que dans la plupart des PECO, on ne peut créer une société d’assurance que sous la forme capitalistique et que la forme coopérative ou mutuelle d’assurance n’existe pas ! Voila une vraie raison qui joue contre l’économie sociale.
Oui il faut se battre contre les propos de Charlie Mc Creevy qui de la part d’un commissaire constitue une aide de la Commission, toute aussi « répréhensible » qu’une « aide d’Etat » aux entreprises capitalistiques.

Mais il faut aussi se battre contre la mise en bourse de la Caisse Nationale des Caisses d’Epargne avant dernier organisme bancaire à relever de l’économie sociale et qui va ainsi en quitter l’univers.

Et ceci est l’objet essentiel de mon propos.
Car enfin la publicité couplée d’alicaments et de mutuelles santé est une dérive, certes réelle et qui est une conséquence d’une mise en concurrence exacerbée. Mais cette dérive n’est ni obligatoire ni réglementaire, elle est surtout de l’ordre de la connerie.

Rien de cela dans la mise en bourse de la CNCE, mais la stricte appropriation privée d’un bien construit non seulement par les sociétaires mais par tous les citoyens. C’est un coup de poignard volontaire et conscient contre l’économie sociale.
Mais là aussi c’est un problème de « politiques » ne réussissant pas à s’opposer à la soif de puissance des dirigeants. Or je n’entends pas de protestations, de prises de positions ni des confédérations syndicales (je ne parle pas des syndicats de l’entreprise) ni des mouvements politiques.
Sans soutien populaire, les « politiques » ne pèseront pas lourd face aux forces libérales et à la technostructure.

Au fait, que fait on ? Des moyens existent, il faut y travailler d’urgence.

Il est en effet important pour les néo-libéraux et surtout pour les socio-libéraux de montrer qu’il n’existe rien en dehors du capitalisme et du libéralisme économique. D’où la volonté d’éliminer tout ce qui est économie sociale de production : Mutuelle, Scop et Coopératives.
C’est Michel Rocard qui constate que « le capitalisme a gagné » (RTL,le Monde 060503). C’est Pascal Lamy (cf le Monde du 21/12/05) : « Si le capitalisme de marché a ses défauts, tout ce que nous avons essayé de lui substituer depuis cent cinquante ans a échoué ». Etc.

D’où, sous le gouvernement Jospin, le Gan, société capitalistique d’Etat, cédé à Groupama mutuelle d’assurance,mais Groupama devant alors être coté en bourse ; le Crédit National cédé aux Banques Populaires mais la caisse centrale des Banques Populaires devant alors être cotée en Bourse etc.

Une autre forme d’attaque contre l’économie sociale est venue aussi sous le gouvernement Jospin de chez Lipietz et d’autres socio libéraux essayant de volatiliser l’économie sociale de production pour ne retenir que l’économie solidaire, qui n’est certes pas à mépriser loin de là, mais qui n’est en rien une alternative à l’économie capitalistique.
Se battre pour l’économie sociale est aussi se battre contre le capitalisme et le libéralisme économique.

Aussi la cotation de la CNCE est, selon moi, une bataille de la guerre qu’il faut mener.

Mes réflexions sont pour le moins partielles, mais, à mon sens, ces débats méritent d’être menés et des actions engagées.

Pierre Mascomère 05/03/06