Toute la vérité

Chacun connaît aujourd’hui les fascinantes images du cerveau « en
action » dont nous sommes redevables, depuis le milieu des années 1990, aux
techniques de l’imagerie par résonance magnétique. Ces technologies ont suscité
une nouvelle approche des fonctions cognitives spécifiques à l’homme. Parmi les
recherches figurent celles qui concernent une hypothétique « science du
mensonge ». Elles ont fait apparaître une activation sensiblement augmentée de
certaines aires cérébrales affectant le cerveau d’une personne en train de mentir.

L’afflux de sang oxygéné est alors nettement observable.
Les meilleurs spécialistes aux Etats-Unis
reconnaissent cependant que les méthodes
mises en oeuvre donnent des résultats encore
très incertains malgré les sommes
considérables investies dans le cadre de la
lutte contre le terrorisme — avec l’espoir de
pouvoir se passer des méthodes actuelles
d’interrogatoire. Voilà cependant qu’en
Inde, au mois de juin, dans l’État du
Maharashtra, une jeune femme vient d’être
condamnée à perpétuité pour le meute de
son ex-fiancé sur la base d’une méthode de
détection par imagerie cérébrale !

Machine à vérité

Le test a été développé par un neuro-physiologiste indien à partir de travaux
réalisés dans plusieurs universités américaines. La procédure est simple : on lit
à la personne à voix haute le récit détaillé du crime commis dans la version donnée par l’accusation mais à la première personne du singulier, comme si c’était elle-même qui parlait.
On visualise son activité cérébrale durant cette lecture, On voit alors les « replis » de son cerveau où sont supposés stockés les souvenirs activés par ce récit. Les experts y voient la preuve qu’ « il s’agit du souvenir d’une expérience personnelle ». Et le juge en conclut que, malgré ses dénégations, l’accusée est coupable !

De celui, accusé ou témoin, qui jure de dire
la vérité, « toute la vérité, rien que la vérité »,
la parole se trouverait disqualifiée par la
trace dans le cerveau de l’événement lui-
même convenablement remémoré. Ce n’est
plus un détecteur de mensonge ; cela voudrait
être une machine à révéler la vérité. Quand
on sait que bien d’autres pouvoirs que le
judiciaire se déclarent déjà intéressés par une
telle machine, avant même que les
connaissances sur lesquelles elle prétend
s’appuyer aient été soumises aux procédures
de validation en usage dans la communauté
scientifique, comment ne pas s’inquiéter ?
N’est-ce pas une société « orwellienne » qui
s’annonce ?

Dominique Lecourt, La Recherche N° 424 novembre 2008