Les fonds : des investisseurs de poids, par Alain Delannoy (févr. 2009) Extrait de la Lettre d ’Attac 45 n°49 (févr.-mars 2009)

Les premiers investisseurs du capitalisme ont été de grosses fortunes qui géraient leur portefeuille d’actions concentrées sur quelques sociétés, cette époque est révolue ; ce sont généralement des fonds qui réunissent aujourd’hui la collecte des placements, et les jouent en bourse, par l’intermédiaire de traders, payés à la commission, donc directement intéressés au succès des spéculations qu’ils opèrent. La participation à beaucoup de ces fonds se retrouve ensuite proposée aux particuliers - “petits porteurs” - comme « produits financiers », sous forme de SICAV, FCP, etc. On peut différencier les fonds en fonction de leurs gestionnaires et de leurs objectifs.

Les fonds souverains

À tout seigneur tout honneur, les fonds souverains (sovereign wealth funds), ou fonds d’État, sont des fonds détenus par un État. Ils peuvent jouer un rôle dans le secteur financier - en refinançant des banques affaiblies par une crise bancaire par exemple (comme dernièrement la création du Fonds souverain français doté de 20 milliards d’€), mais ils ont aussi des perspectives stratégiques - quand un fonds souverain prend des participations importantes dans des entreprises étrangères, ou quand la Chine subventionne la dette américaine pour garantir ses exportations. Les fonds souverains peuvent émettre des titres : les bons du trésor. Les fonds souverains les plus importants sont dans le Golfe Persique (près de 900 milliards de $), en Chine (200 milliards de $), et en Asie du Sud-Est hors Japon (près de 350 milliards de $)… mais aussi en Norvège (320 milliards de $), et en Russie (120 milliards de $).

Les fonds d’investissements

Mais ces premiers sont largement distancés en importance numéraire par les fonds d’investissements privés (private equity) :

 Les fonds de capital risque ou capital de risque (venture capital), Fonds Communs de Placement à Risque (FCPR), investissent (25 milliards de $ aux USA, 2 milliards d’€ en France) à long terme (souvent plus de dix ans) dans des entreprises innovantes à fort potentiel de développement (Google, Skype, biotechnologies, développement durable, etc.), et donc espèrent des bénéfices substantiels ! mais ils peuvent être amenés à financer des pertes des entreprises, voire à endosser leurs faillites… et même la perte du capital (1).
Ces acteurs importants de développement technologique seraient mis en danger par une récession qui augurerait pour eux un mauvais retour sur investissement…

 Les fonds spéculatifs ou fonds de couverture (hedge funds) pratiquent la « gestion alternative » : ils ne sont pas intéressés par l’investissement à long terme ; s’ils combinent des positions moyennes et courtes pour réduire le risque total du portefeuille, leur objectif est avant tout et par tous les moyens de rentabiliser leurs investissements en s’accaparant rapidement des plus-values sur le capital. Pour se soustraire à des législations contraignantes, ces fonds se font généralement domiciliés “offshore” dans des paradis fiscaux. Ils gèrent globalement 1 250 milliards d’€ !

Pour parfaire une productivité (qui n’est même plus matérielle : la productivité n’est plus celle de biens de consommation, mais prioritairement celle de capitaux !), le marché mobilier s’est doté - en partie grâce à la dérèglementation des marchés - de « produits dérivés ». Désormais on peut (arbitrage) spéculer sur l’écart de prix d’un titre ou d’une devise sur deux marchés différents, on peut s’engager à acheter à un prix donné en échange d’une prime (option)… puis renoncer à la transaction, on peut s’engager dans un contrat à terme à vendre un produit financier… qu’on ne possède pas encore (vente à découvert), on peut racheter des créances de la dette d’un pays du Tiers-monde… et exiger judiciairement la saisie de matières premières dans ce pays, on peut grâce à des fonds de Leveraged Buy-Out, LBO (TPG, AXA…) acheter avec un endettement maximal quasi tous les actifs d’une société pour la « restructurer »… et rembourser l’emprunt en la revendant par introduction en bourse (effet de levier), etc.

Au cas où un investisseur est dans l’impossibilité d’assurer ses engagements, la chambre de compensation (la Bourse, Clearstream…) intervient en secours. (La chambre de compensation - qui exige un dépôt de garantie de tous les spéculateurs qu’elle héberge - enregistre toutes les transactions boursières et s’assure - en fonction des cours : en quelque sorte “l’argus” de la Bourse - d’un côté que l’acheteur est en capacité financière d’acheter au regard de ses actifs, de l’autre que le vendeur ne promet pas de vendre plus qu’il ne possède ; les accidents - impossibilité d’un contractant à tenir ses engagements - sont compensés par l’importance des marchés… d’autant que tous les cours ont tendance à chuter ou grimper en même temps !) (2)

Mais tous ces procédés supposent des indices boursiers qui caracolent : en cas de krach, la chambre de compensation est quasi inefficiente. Surtout elle n’évite pas les faillites… comme quand la revente à des opérateurs financiers, contre un remboursement avec intérêts, de prêts garantis par une hypothèque (par la titrisation), a connu une chute vertigineuse de ces titres ; chute qui a entraîné la crise des « subprimes » ! Or, en période de récession, des investissements risqués auront bien du mal à honorer leurs créances : des fonds LBO qui comptaient sur un “effet de levier” promettent déjà de ne pas pouvoir récupérer les avoirs prêtés (jusqu’à 90% de la valeur de la société !)… une crise des LBO à venir ?

 Les fonds de pension quant à eux, récoltent les cotisations de salariés et d’employeurs pour promettre une retraite (par capitalisation) des premiers ou la compléter (PER et Préfon en France). À l’opposé du système de retraite dit “par répartition” - où la solidarité intergénérationnelle amène les travailleurs à cotiser pour les retraités contemporains -, ici chacun épargne pour sa propre retraite (comme on a pu le connaître dans le passé quand chacun tâchait de s’assurer une rente pour ses vieux jours). Ces fonds sont très importants outre-Atlantique et outre-Manche où sont quasi absentes les retraites comme nous les connaissons encore en France - tant que les luttes parviendront à les sauvegarder des réformes néolibérales qui pointent pourtant ! (Ce qui n’est déjà plus le cas dans certains pays de l’Europe de l’Est où le FMI a imposé le recours aux fonds de pension.)

Là-bas les placements sont collectés par le fonds de pension qui les gèrent… exactement comme un fonds spéculatif : ainsi un fonds de pension pourra avoir des exigences sur une entreprise où elle serait majoritaire dans le capital… exigences qui mettront au chômage le salarié même qui cotise dans ce fonds de pension ! Les fonds de pension sont gigantesques : près du tiers du capital des entreprises du CAC40 (les 40 plus grosses entreprises françaises cotées en bourse) est entre les mains de fonds de pension anglo-saxons… La bonne santé du capital-retraite dépend donc directement de la Bourse ! s’il y a une « crise » - comme celle que nous connaissons -, le retraité voit fondre ses revenus, quant au travailleur, il doit retarder son départ en retraite… Or, selon le Congressional Budget Office, les fonds de pension auraient perdu près de 2000 milliards de $ depuis 2007 !

C’est le système entier qui est responsable

Tous les fonds d’investissements se recoupent souvent : un fonds LBO géré par un fonds de pension pourra subventionner dans le même temps le démantèlement d’une entreprise par « effet de levier » (avec son cortège de “plans sociaux”), le sauvetage d’une autre qui aura eu l’heur d’être jugée rentable, et même la création d’une start-up écologique performante par FCPR ! Il n’y a pas là de « gentils » et de « méchants » : on a vu même des fonds d’État prendre des positions offensives – comme l’acquisition par le fonds indonésien du leader thaï des telecom, ce qui avait fait scandale alors-, d’autres sont gérés comme des fonds de pension – tels le fonds norvégien, hérité de la manne du pétrole en Mer du Nord. La « nationalisation » de la finance ne serait peut-être même pas une solution ! Or tous ces fonds d’investissements sont dépendants de la situation boursière. Dans une crise, tous sont touchés, crise dont ils ont tous été a minima complices. Dans le système capitaliste financier, il n’y a pas de boursicoteur, de fonds, de banque (hormis deux ou trois petits malins ici ou là), qui soit épargné : avec une perte de valeur de près de 40%, ce sont 25 000 milliards de $ qui sont partis en fumée dans la crise financière actuelle (une moyenne de 6000 $ par humain de tout âge !) ; ils n’ont pas tous été piqués dans la poche des pauvres, le milliardaire voit sa fortune désenfler lui aussi… mais si Bernard Arnault perd 10 milliards d’ € (c’est à dire environ 40% de sa fortune), il sera de très mauvaise humeur ! le petit porteur qui aurait lui placé ses économies en bourse et ferait une même perte de 40% (quelques misérables milliers d’€), va… au moins pleurer…

Mais alors, punir les responsables - comme l’a préconisé naïvement ou ironiquement notre Président - ne reviendrait-il pas à punir tous ceux qui ont eu un jour une action entre leurs mains ? Quand ce président, face à la crise, prône encore de récompenser le travail et l’effort, ce n’est certainement pas les traders - qui naviguent entre petite fortune et maladies cardio-vasculaires - qu’il fustige ! (quel bon sommeil peut avoir un trader quand il sait que les positions qu’il a négociées pendant la journée peuvent se déliter pendant son repos ?), ni quand notre même président oppose la liberté à la règle (les mêmes traders respectent l’une et l’autre !), ni même quand il oppose responsabilité collective et individuelle (les traders sont les manouvriers du capitalisme financier, ils œuvrent tant pour leur carrière personnelle que pour la prospérité des fonds collectifs des actionnaires qu’ils représentent !). Quand encore il en appelle à une “éthique” du capitalisme, on ne voit pas trop comment cela pourrait se concrétiser ? Il n’y a pas de “bien” et de “mal” dans ce système ; un investissement pourra (par exemple en FCPR) être porteur de progrès… il n’empêche que ce qui l’aura motivé est un intérêt financier, pas une pensée humaniste ; le manichéisme simpliste n’est pas de mise ici : il y a les “bons” - ceux qui font beaucoup de bénéfices - et les “mauvais” - ceux qui n’en font pas ! Dans ces conditions, quant aux prétentions vertueuses de M. Sarkozy à “refonder le capitalisme”, on est en droit légitimement de se demander ce qu’il en garderait ?

Notes

(1) http://canal-educatif.fr/Video/Economie/013-investissement-france-biotech/400.html

(2) http://www.guide-finance.ch/ica_french/investissement/