Dans La Recherche - octobre 2013

Flourishing John R. Ehrenfeld et Andrew J. Hoffman

Bénévoles rassemblés dans des chantiers participatifs pour la construction de maisons ou de mobiliers publics ; plates-formes Web de prêt ou de location entre usagers d’objets sous-utilisés ; grandes entreprises dont la culture et les pratiques s’opposent au consumérisme et à l’idée d’une croissance illimitée ; chercheurs en réaction au modèle scientifique productiviste dominant tourné vers la rapidité et la quantité proposant celui d’une science orientée vers la qualité et la lenteur. Produire, consommer, faire de la recherche : aussi diverses soient-elles, nombre d’activités humaines font aujourd’hui l’objet de pratiques qui se veulent différentes de celles que l’histoire a forgées comme des habitudes. Les militants et leurs penseurs semblent partager un état d’esprit commun.
Le « développement durable », la « croissance verte », nous y voilà, penserez-vous ! Détrompez-vous. Pour John Ehrenfeld, ancien directeur du programme « Technology, Business and Environment » du MIT, aux Etats-Unis, ces concepts valises sont des oxymores. Dans ce recueil d’entretiens réalisés avec un ancien étudiant, Andrew Hoffman, devenu professeur de management à l’université du Michigan, la conscience de la finitude du monde est incompatible avec l’idée d’une croissance économique infinie. Même quand celle-ci s’adjoint, avec le développement durable et la croissance verte, les leitmotivs supplémentaires de l’efficience écologique et de l’équité. Tout au plus, l’insoutenabilité pourrait être réduite. Pour assurer la soutenabilité, une rupture « paradigmatique » s’impose, selon John Ehrenfeld.

Epanouissement contre croissance. Sa proposition est celle d’une société fondée non plus sur la croissance économique et quantitative, mais sur l’« épanouissement ». La société de l’épanouissement relève de la possibilité fondée sur un imaginaire actif qui reste à expérimenter plutôt que de la projection probable des connaissances actuelles. Sa dynamique ne repose pas sur l’insatiable satisfaction des besoins et le toujours plus mais sur le bien-être et le soin porté à soi-même, aux autres et au reste du monde naturel, matériel et spirituel dans une perspective du mieux. Les bénéfices des actions sont appréciés dans un cadre qui n’est plus anthropocentré, quantitatif et immédiat, mais qui veille tant à l’épanouissement des êtres humains que de toute autre forme de vie, engageant dans les comportements d’aujourd’hui une certaine représentation du futur. L’idée peut être belle. John Ehrenfeld garde espoir… sans se prétendre optimiste.
Reprenant cette philosophie, la science pourrait bien remplacer le mot d’ordre « publier ou périr » par celui de « s’épanouir ou périr ». Sur ce terrain aussi quelques militants, philosophe et sociologues s’évertuent à rappeler, dans un esprit proche de celui de John Ehrenfeld, qu’une autre science est possible [1].

  • Julie Bouchard, maîtresse de conférence, université Paris-XIII/Labsic

P.-S.

Un autre monde est possible, l’idée fait son chemin...

Notes

[1Isabelle Stengers, Une autre science est possible !, La découverte, 2013 ; Vincent de Gaulejac, La Recherche malade du management, Editions Quae, 2012.